Le rhum le plus subventionné au monde est américain

Aux Etats-Unis, pourtant considérés comme un des pays les plus libéraux au monde, et sans doute l’un des plus protecteurs, on a aussi conscience des réalités et on n’hésite pas à aider massivement la production américaine de rhum. En effet, l’accord « cover-over » en vigueur depuis 2009 pour une durée de 30 ans, consiste pour le Trésor Américain à reverser aux deux îles américaines productrices de rhum (les Iles Vierges et Porto-Rico), 97 % du montant total des droits d’accises acquittés par les consommateurs américains de rhum, y compris les rhums importés, (rappelons que les Etats-Unis représentent 40 % de la consommation mondiale de rhum).

Les « petits » producteurs de rhum que sont Diageo (n°1 mondial des spiritueux) et Bacardi ont ensuite âprement négocié avec les gouvernements locaux des Iles Vierges et de Porto-Rico afin de se voir attribuer la part la plus élevée possible de ce reversement. Les gouvernements locaux se sont très vite retrouvés sous pression dans la mesure où le reversement dans le cadre du « cover-over » est proportionnel à la production de rhum. C’est ainsi qu’on estime à 2,7 milliards de dollars US le montant total des reversements (qui représentent donc des subventions déguisées qui leur donne les moyens commerciaux de leur développement à l’international) qui reviendront sur 30 ans à Bacardi et à Diageo.

Bien évidemment, aucune de ces entreprises n’a l’obligation de cultiver de la canne à sucre localement.

Pour la seule année 2012, ces producteurs de rhum ont bénéficié de 580 millions de dollars US de subventions, montant destiné à croître considérablement chaque année étant donné le dynamisme du marché du rhum aux Etats-Unis. Cerise sur le gâteau : Diageo a obtenu, en contrepartie de son installation aux Iles Vierges américaines, la livraison gratuite d’une distillerie flambant neuve « clés en mains » d’une valeur de 137 millions de dollars. Bien évidemment, aucune de ces deux entreprises n’a l’obligation de cultiver de la canne à sucre localement ou de créer ou sauvegarder des emplois, les distilleries implantées dans ces deux territoires étant chacune connectées à un terminal qui reçoit les mélasses en provenance du monde entier, négociées au tarif le plus avantageux. La mise en place de ce système d’aide ultrapremium a permis aux rhums américains de passer de 4.718 HAP exportés en Europe en 2008 à 205.227 HAP (pour mémoire 1hap = 200 litres de rhum a 50°, ou 380 bouteilles de rhum a 37.5°) en 2013, au détriment principalement des productions ACP (passées de 438.023 HAP en 2008 à 244.321 HAP en 2013) et des DO M (passées de 197.786 HAP en 2008 à 190.382 HAP en 2013). (source : Eurostat 2013).

Les producteurs de rhum du CARICOM (principalement, les îles de la Caraïbes – hors DOM Français) ont alerté leurs pouvoirs publics, qui ont fini par entamer de timides démarches auprès des autorités américaines pour tenter de rétablir l’équilibre, sans succès, la position américaine étant restée inflexible. Quant à l’Union Européenne, les négociations en cours au sujet du Traité Transatlantique n’évoquent pas la question du rhum, afin probablement d’éviter que ce point ne constitue un point de blocage.

La seule zone économique qui a levé la plupart des barrières douanières à l’importation des rhums des autres pays producteurs de rhum est l’Union Européenne.

De façon générale, tous les pays producteurs de rhum protègent de façon plus ou moins transparente leurs productions de rhum : droits de douane à l’importation prohibitifs, barrières administratives ou normatives, subventions plus ou moins déguisées, fiscalité locale avantageuse pour les rhums produits localement. Il semble que chaque pays producteur veuille conserver à tout prix la production du précieux breuvage en son sein. La seule zone économique qui a levé la plupart des barrières douanières à l’importation des rhums des autres pays producteurs de rhum est l’Union Européenne. Les barrières normatives à l’entrée dans l’Union Européenne sont quasiment inexistantes et aisément contournées puisqu’aucun contrôle autre que documentaire n’a lieu sur les entrées de rhum importé. En revanche, les rhums traditionnels des DOM font l’objet de contrôles rigoureux et approfondis, à la fois sur les documents mais aussi et surtout sur les qualités intrinsèques du produit, effectués par les douanes françaises et l’INAO.

Face à la protection et au subventionnement généralisé des rhums produits dans le monde, La France n’a d’autres choix, si elle entend conserver ses producteurs de rhum, que de défendre la fiscalité spécifique des rhums produits et vendus dans les DOM sur son seul territoire français. Il faut en effet rappeler que les rhums des DOM sont issus exclusivement de la matière première produite localement, que leur cahier des charges de production est parmi les plus exigeants de la planète, et qu’enfin, l’ensemble des producteurs des DOM respectent les normes sociales et environnementales les plus élevées au monde, pour n’atteindre que moins de 2% du marché mondial.

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